En tant que parieur, nous prenons des décisions face aux risques très régulièrement (voir tous les jours pour certains), nous faisons des choix dont les conséquences dépendent de la réalisation d’évènements, dans notre cas d’évènements sportifs, ces derniers ayant une probabilité plus ou moins importantes de se réaliser. Dans un monde idéal, le parieur serait un individu rationnel, et ces seules décisions seraient prisent dans le but de maximiser ses profits, malheureusement pour nous, nous ne sommes pas dans ce monde, et l’être humain en général fait souvent des choix irrationnels. Connaître cette irrationalité naturel chez l’homme, la comprendre et l’analyser vous permettra de vous concentrer à l’avenir, d’éviter ces pièges pour faire de meilleurs choix et vous aider à être un meilleur parieur. Cette irrationalité de l’être humain a été mise en avant notamment par 2 psychologues, Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie en 2002) et Amos Tversky dans les années 70 au cours de plusieurs expériences sur des individus qui permettra de proposer la théorie des perspectives.
La Théorie des perspectives
1) L'aversion au risque
Les 2 psychologues ont démontré au cours de leurs expériences que l’individu avait tendance à avoir une aversion aux risques. Pour illustrer cette théorie de l’aversion au risque voici un petit exemple auquel vous pouvez essayer de répondre.
Imaginons que je vous propose le choix suivant :
- Sois-je vous offre 3000 euros sur et certains de les gagner
- Sois-je vous offre 4000 euros mais à seulement 80 % de chance de les gagner
Qu’est – ce que vous choisissez ?
Si vous avez choisi la 1ère option vous êtes comme la très grande majorité des gens qui ont été soumis à cette question, en effet 80% des gens ont choisi la 1ère option contre 20% pour la 2ème. Mais était – ce vraiment le bon choix ? et bien non, d’un point de vue purement logique et si vous vouliez maximiser vos gains il fallait choisir la 2ème option.
Petit calcul pour le comprendre, imaginons que chaque proposition vous soit faite 10 fois, dans le 1er cas vous allez gagner 10 x 3000 euros donc 30 000 euros au total alors que pour le 2ème cas vous n’allez gagner que 8 fois sur 10 les 4000 euros et 4000 x 8 et bien ça fait 32 000 euros.
On voit que lorsqu’il s’agît d’un gain les gens vont fuir le risque (aversion pour le risque) quitte à avoir une espérance de gains plus faible, alors que ce n’est pas du tout rationnel.
2) Le point de référence
Autre élément mis en avant dans la théorie c’est l’idée de point de référence, en effet les pertes et les gains seraient évalués par rapport à un état initial et non en valeur absolue. Exemple très simple, pour comprendre cette idée, vous êtes au Smic et on vous offre 1 millions d’euros, vous êtes le plus heureux du monde, puis peu de temps après vous perdez tout, votre monde s’effondre, vous êtes au bout de votre vie car votre point de référence pour ces 1 million c’est votre Smic (1200 euros), une somme dérisoire face au 1 million. Maintenant imaginons que vous possédez déjà 50 millions lorsque l’on vous offre les 1 million, vous êtes content certes, mais ça ne va pas changer votre vie, de même que si peu de temps après vous les perdez, il est fort possible que vous ne vous en rendiez même pas compte, car votre point de référence pour ces 1 million c’est 50 millions, le million vous semble cette fois dérisoire. L’aspect émotionnel de la perte ne dépend pas de la valeur absolue du million, mais bien du point de référence de l’individu.
3) L'aversion aux pertes
Un autre élément que les psychologues ont mis en lumière, la perte est émotionnellement plus forte que le gain. Si vous faite un pari et que vous gagné 50 euros, votre joie sera plus faible que si vous perdiez 50 euros, C’est ce que Kahneman et Tversky appellent l’aversion aux pertes.
Ce graphique représente l’impact émotionnel sur un individu en fonction des gains et des pertes, L’écart va varier entre les individus, mais la douleur pourrait être 2 à 3 fois plus forte que le plaisir pour une somme identique chez un individu.
4) L'effet de contexte
Lorsqu’il est question de gains, les individus ont tendance à fuir le choix incertain et préférer les options certaines, c’est ce que nous avons vu dans le 1er point, l’aversion au risque, mais quand il est question de perte, les individus vont en revanche cette fois préférer les choix risqués, on va parler cette fois d’appétence (attirance) pour le risque.
Pour vous en convaincre voici une autre petite expérience en 2 phases à laquelle vous pouvez vous prêter.
1ère phase : Je vous offre 2000 euros, ils sont acquis et bien à vous, puis je vous propose un choix :
- 1ère option, vous avez 50% de chance de gagner 1000 euros et 50% de ne rien perdre
- 2ème option, un gain sur et certains de 500 euros
Que choisissez-vous ? la 1ère ou la 2ème option ?
Mémorisé votre choix, nous passons à la 2ème phase, cette fois je vous offre 3000 euros puis je vous propose de nouveau un choix :
- 1ère option, vous avez 50% de chance de perdre 1000 euros et 50% de ne rien perde
- 2ème option, vous perdez 500 euros
Là encore quel est votre choix ? la 1ère ou 2ème option ?
Si dans la 1ère phase vous avez choisit la 2ème option alors vous êtes comme 84% de personnes qui ont été soumis à une expérience similaire. Pour la 2ème phase, si vous avez choisit la 1ère option, vous êtes comme les 69% des personnes qui ont cette fois choisit cette option. Ce qui est marrant avec cette expérience c’est que les 1ères options de la phase 1 et la phase 2 sont identiques en termes de richesse, et les options 2 des 2 phases sont elles aussi identique en termes de richesse. On a donc des résultats diamétralement opposés seulement en changeant l’angle d’approche de la proposition.
En effet dans la phase 1, 1ère option soit l’individu a 2000 euros et 50% de chance de se retrouver avec 3000 euros soit 50% de chance de se retrouver avec 2000 euros, il aura donc en moyenne 2500 euros.
Dans la phase 2, 1ère option, soit l’individu à 3000 euros et 50% de chance de se retrouver avec 2000 euros soit 50% de chance de se retrouver avec 3000 euros, il aura donc en moyenne 2500 euros.
Dans la phase 1, 2ème option, l’individu a 2000 euros et gagne 500 euros, il aura donc 2500 euros sûr et certain.
Dans la phase 2, 2ème option, l’individu a 3000 euros et perd 500 euros, il aura donc 2500 euros sûr et certain.
Là encore les 2 options sont bien identiques. Tous les individus ayant choisi de gagner sur et certains 500 euros aurait du rationnellement choisir perdre 500 euros, et réciproquement pour les 1ères options.
Mais comment expliquer une telle irrationalité chez les individus (et chez vous aussi probablement) pour un choix identique. Comme nous l’avons vu précédemment dans l’article, Dans la phase 1 le changement est évalué dans le domaine des gains, l’aversion au risque va donc entrer en jeu et faire tendre l’individu vers le gain sur et certains.
Dans la phase 2, le changement est évalué dans le domaine des pertes, l’individu va dans ce cas avoir une appétence au risque et préférer le choix incertain.
Les perspectives de l’individu vont donc changer en fonction d’un point de référence, sont état initial de richesse (2000 euros dans la phase 1 et 3000 euros dans la phase 2) alors que le choix devrait être dicté par l’état final de richesse (en moyenne 2500 euros ou sur et certains 2500 euros).
5) La difficulté de percevoir les probabilités
Kahneman et Tversky ont aussi mis en avant les difficultés qu’avaient les individus en général à calculer numériquement les probabilités, mais aussi même en ayant des probabilités déjà calculées à avoir des difficultés à les interpréter parfaitement et à les comprendre à leur juste valeur. On parle de surestimation des événements à faible probabilité et de sous-estimation des événements à forte probabilité.
La droite en pointillé représente les probabilités réelles, et la courbe en bleu les probabilités perçues par un individu. Par exemple la probabilité réel de 10% va être perçue comme une probabilité de 20% pour un individu, et la probabilité réel de 80% va être perçue comme seulement 60%. Ce va se traduire dans les paris par exemple par le fait d’accepter de prendre une cote à 5 (20% de chance que l’équipe gagne) alors qu’en réalité elle n’a que 10% de chance de gagner et donc la cote aurait du être à 10. La majorité des parieurs sont donc prêts à être payer moins cher pour leur pari que sa valeur objective si ce dernier offre la possibilité d’un gain important par rapport à leur point de référence.
Une expérience montre cette difficulté à déterminer correctement les probabilités, c’est le paradoxe d’Allais.
Là encore 2 choix possibles, gagner 8000 euros à 45% de chance ou 4000 euros à 90 % de chance. 14% des gens on prit le 1er choix contre 86% pour le 2ème.
Mais si l’on pose une situation identique avec des probabilités plus faibles, 8000 euros à 0.1% ou
4000 euros à 0.2%, là les gens ont répondu à 73% les 8000 euros contre 27% pour les 4000 euros.
Ce choix est là encore paradoxal, car dans les 2 cas nous avons 2 fois moins de chance de gagner un gain potentiel 2 fois plus élevé. Le choix des individus devraient donc être le même pour les 2 propositions. Cette différence s’explique par la difficulté que nous avons à faire la différence entre 0.1 et 0.2%. Pour la majorité des gens 0.1% et 0.2% c’est la même chose, on va donc penser à tort dans notre exemple que l’on a autant de chance de gagner 4000 euros que de gagner les 8000 (alors que ce n’est pas le cas du tout). A contrario la différence entre 45% et 90% est mieux interpréter et notre aversion au risque pour les gains nous fait nous diriger vers le choix le moins incertain, les 4000 euros à 90%.
Kahneman et Tversky vont donc dégager à la suite de leurs expériences 4 attitudes envers le risque,
- Lorsque qu’un individu se retrouve dans une perspective de gain, il va manifester une aversion au risque pour les moyennes et grandes probabilités et une appétence au risque pour les petites probabilités.
– Lorsque qu’un individu se retrouve dans une perspective de perte, il va manifester une aversion au risque pour les petites probabilités et une appétence au risque pour les moyennes et grandes probabilités.
Conclusion
Voilà ce que nous apprend la théorie des perspectives, lorsqu’un individu est soumis à une décision incertaine, il va tenter de faire une moyenne intuitive avec les probabilités, malheureusement ces probabilités seront souvent très approximatives (pour ne pas dire fausse), mais les gains et les pertes, eux aussi seront déformés. Tous ces points mis en avant dans cette théorie peuvent être une source d’enseignement pour un parieur, notamment l’approximation naturel que nous avons à percevoir les probabilités, bon nombre de parieur pense pouvoir calculer instinctivement la probabilité de gagner d’une équipe, mais Kahneman et Tversky ont montré les difficultés que nous avions à percevoir ces probabilités en surestimant les faibles probabilités et sous estimant les fortes probabilités. Il est donc vivement conseillé lorsque que vous souhaitez calculer une cote (et donc une probabilité) de le faire à l’aide de statistiques et pas simplement par intuition car une erreur, même de seulement 3 % en moyenne pourrait vous faire passer de parieur gagnant à parieur perdant sur le long terme. La gestion de vos émotions sera aussi un atout important si vous savez les maitriser, relativiser une perte et la voir à sa juste valeur pour vous protéger du tilt. Il faudra aussi éviter de choisir un pari seulement en fonction des gains espérés en se fondant uniquement sur la hauteur de la cote (maxi combo avec une cote à 100 par exemple) mais plutôt de se concentrer uniquement sur la value d’un pari.